PHOTOGRAPHIE (histoire de l’art)

PHOTOGRAPHIE (histoire de l’art)
PHOTOGRAPHIE (histoire de l’art)

Il aura fallu attendre un siècle et demi pour que la photographie devienne un objet d’intérêt pour les historiens. Non que, durant ce temps, somme toute assez court au regard de l’histoire, les réflexions et les publications aient été totalement ignorées; elles manquaient cependant, dans une large mesure, de sérieux méthodologique et d’ambitions suffisamment explicatives.

Or, depuis 1980, en marge des multiples albums qui se proclament «histoire mondiale» de la photographie, on publie des monographies de grande qualité, fruit d’une recherche patiente dans des fonds d’approche souvent malaisée. Elles sont souvent accompagnées de remarquables expositions qui déploient l’étude dans le temps ou mettent au jour des faits, des écoles, des époques méconnus ou tout bonnement passés sous silence. Quelques textes «de réflexion générale» trouvent également éditeur.

Par ailleurs, dans leur volonté de s’inscrire dans une tradition strictement photographique, en prenant donc en compte la spécificité supposée de leur médium et ses conflits avec d’autres modes d’expression, un nombre important de «jeunes photographes» se sont penchés sur l’histoire de l’expression photographique avant de situer leur production en référence à des traditions, ou en rupture avec elles.

Avant d’aborder en détail les productions anciennes et récentes dans ce domaine controversé de l’histoire de la photographie, nous tenterons de définir le genre même, extrêmement complexe, de la photographie. C’est alors, seulement, que nous pourrons nous interroger sur les formes d’analyse historiques possibles pour la photographie et sur leurs implications. Nous verrons que cet objet nouveau, qui modifie par ailleurs les conditions de la recherche historique traditionnelle, ne peut concevoir son histoire qu’en fonction des devenirs qu’elle se donne. Travaillant le temps, le retournant, interrompant la vie et éternisant l’instant, la photographie ne peut concevoir les règles d’approche de son passé qu’à travers son avenir supposé.

La photographie, ou le piège du langage

Lorsqu’on utilise, aujourd’hui, le terme de photographie, il est parfaitement impossible de savoir ce qu’il désigne. Déjà, lorsqu’en 1839 l’Allemand Mädler l’utilise pour nommer des procédés jusque-là caractérisés comme «héliographie», «photogénie», «dessin photogénique ou héliographique», «daguerréotypie», une quinzaine d’années se sont écoulées depuis que l’on a appris à fixer l’image perçue dans la chambre noire. Le terme de photographie – «écrire avec la lumière» – ne désigne alors qu’une technique nouvelle dont la fidélité et la rapidité de reproduction provoquent des réactions enthousiastes et souvent passionnelles. Le procédé est perçu – et désigné – comme une invention technologique dont on expose le fonctionnement dans le cadre des académies des sciences et dont les grands défenseurs seront des savants comme Arago. Ce que la France va «offrir au monde» après avoir acheté l’invention de Niepce n’est qu’un procédé, révolutionnaire certes, mais qui n’est absolument pas susceptible de donner matière à des débats artistiques. La définition minimale, et déjà ambiguë, qu’en donne Potonniée en 1925 – «La photographie est l’art de rendre permanentes, par des moyens autres que ceux du dessin manuel, les images perçues dans la chambre noire» – reste cependant la moins sujette à discussion: le procédé et les images y sont évoqués.

En un siècle et demi d’existence, la photographie est demeurée un processus d’enregistrement, quelles que soient les améliorations techniques apportées au matériel. Mais, durant cette lente progression, les praticiens ont pu constater que la photographie permettait, selon les utilisations qui en étaient faites, des expressions multiples, voire contradictoires et des images de toute nature. Aujourd’hui, le terme recouvre une multiplicité de réalités, et bien des ambiguïtés sont nées parce que des vocables plus précis n’existent pas.

Qu’y-a-t-il en effet de commun entre le photographe boutiquier vendant ses pellicules aux amateurs, le chercheur du C.N.R.S. dont la microphotographie est un instrument quotidien de mesure, le photojournaliste parcourant les champs de bataille, le portraitiste dans son studio, le spécialiste de photographie industrielle, les fabricants d’albums de mariage, le père de famille enregistrant les vacances sur la plage et le photographe à la sauvette distribuant ses polaroids devant un monument touristique? Uniquement le procédé. C’est pour cela qu’il conviendrait, afin d’éviter les amalgames, dans le travail historique comme dans les comptes rendus quotidiens, de bannir ce monstre de polysémie qu’est devenu le terme de photographie. Il existe aujourd’hui bien des types de photographes – la complexité des statuts sociaux et professionnels est là pour l’attester – et bien des types différents de photographies – la destination et l’utilisation des images photographiques le prouvent.

Entreprendre la synthèse des différentes pratiques photographiques est – en ce sens – un projet fascinant pour un historien. Elle lui permettrait de brosser le panorama de sociétés de plus en plus complexes. L’art rencontrerait naturellement la sociologie, le goût s’allierait à l’industrie, l’information au musée et la sexualité à l’identité.

Face à ce désir des historiens de la photographie de tout rassembler en un lieu unique se dressent plusieurs difficultés. La première reste le retard pris par la recherche historique pour l’étude, même sommaire, des fonds. Nombre de musées, de fonds publics, d’archives nationales ou départementales, généralement pointilleux quant au recensement de leurs richesses documentaires, ont oublié ou négligé de cataloguer leurs collections de photographies. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, les archives de la préfecture de police à Paris se sont débarrassées des plaques de verre encombrantes qui gardaient les clichés anthropométriques des criminels du début du XXe siècle. Une énorme masse d’informations a été ainsi irrémédiablement perdue. Les musées parisiens, particulièrement riches en fonds photographiques, ont attendu 1980 pour commencer la mise en fiches systématique de leurs trésors, et l’on vient ainsi de constater que l’École des beaux-arts possédait plus de deux mille clichés des plus célèbres photographes du XIXe siècle. On comprend qu’il soit difficile à des historiens de travailler sur la photographie lorsque le matériau de base, fragile et souvent en mauvais état, fait défaut: le verre et le papier ne sont guère à l’abri des ans surtout lorsqu’on ne leur accorde aucune importance.

De plus, si l’évolution de la technique photographique est relativement bien connue, le travail d’analyse théorique de la photographie en est à ses débuts, et laisse souvent libre cours à des démarches fantaisistes, calquées sur l’analyse textuelle. Lorsque l’analyse ponctuelle et les approches théoriques restent faibles, il n’est pas aisé de confronter un objet au temps.

Autre difficulté, les débats internes à la photographie qui ont longtemps masqué – et continuent partiellement de masquer – les enjeux et les perspectives historiques. Il n’est que de constater à quel point, embrouillé dès le départ par des volontés de légitimation artistique, le conflit artificiel entre peinture et photographie a occupé la scène de l’image. Les interrogations d’un petit cercle de photographes, si elles permettent parfois de suivre des débats esthétiques d’importance, ne favorisent pas les recherches plus générales.

L’histoire de la photographie et des productions de la photographie aura tendance, calquant ses évolutions sur d’autres domaines mieux connus, à se concevoir en termes d’écoles, d’influences, de grands noms, de hiérarchies. Elle mettra d’autant plus difficilement en évidence ce qu’elle recèle de plus passionnant (une histoire de l’évolution du regard) qu’elle ignore presque totalement l’importante production des amateurs.

Des histoires contradictoires

On pourrait affirmer, pour simplifier, que les approches historiques de la photographie se résument pour l’essentiel à des catalogues articulés, répétitifs et contradictoires. Cela tient autant aux difficultés évoquées plus haut qu’à deux nécessités ou deux a priori. La nécessité est celle de l’image. Il est en effet difficile d’envisager une histoire de la photographie qui ne serait pas illustrée d’exemples remarquables. Or, en choisissant forcément un nombre réduit de reproductions, les historiens de la photographie les convoquent systématiquement à l’appui de thèses qui ne sont pas toujours établies avec tout le sérieux nécessaire. On a ainsi souvent l’impression, à feuilleter les «histoires», qu’une sélection de belles images, souvent importantes dans le déroulement historique (une façon de découper le monde au travers de formats géométriques), sert à justifier n’importe quelle thèse. Le fait que la plupart des histoires de la photographie reproduisent les mêmes images, à quelques variantes remarquables près, accentue ce sentiment de pauvreté du discours historique.

Ainsi, les différentes histoires de la photographie française montrent éternellement les mêmes «meilleures images» de photographes signalés comme plus importants que d’autres. Et l’on ne dit jamais que cette lecture est une lecture actuelle de la photographie, que le temps relativise l’approche visuelle et modifie notre perception d’images que les années rendent plus secrètes, plus chargées d’émotion et de sens. Chacun sait pourtant que les images que nous préférons aujourd’hui dans l’œuvre d’un Doisneau – par exemple – ne sont pas forcément celles qui enthousiasmaient dans les années 1950. Il faut accepter de dire, sous peine de prolonger un malentendu incompatible avec la moindre prétention historique, que les histoires actuelles de la photographie sont des albums d’images, chronologiques, fonctionnant sur le plaisir de la relecture des clichés davantage que sur l’analyse et l’étude historique sérieuses. Il ne s’agit pas de nier l’intérêt de tels ouvrages qui répandent des images de qualité auprès d’un public souvent peu au fait de la photographie, mais de leur refuser tout caractère historique.

Le piège nationaliste

Par une surprenante étroitesse de vues, la plupart des histoires de la photographie qui nous sont proposées relèvent d’un parti pris nationaliste tout à fait contestable. Alors que la maniabilité – le premier quart du XXe siècle étant naturellement mis entre parenthèses –, la facilité d’utilisation, la miniaturisation, l’automatisation de plus en plus grande du matériel, font rapidement de la photographie le moyen d’expression à possibilité artistique le plus répandu, les historiens de la photographie s’enferment très souvent dans les limites étroites d’un seul pays. Plutôt que de confronter les perfections documentaires et architecturales des premiers photographes, de rapprocher les conventions bourgeoises et la prétention artistique des pictorialistes du début du XXe siècle, les faux émerveillements constructivistes et géométriques des années 1930, la suprématie du reportage au tournant du siècle et les interpellations sur le médium dans les décennies récentes, et ce dans le monde entier, les historiens de la photographie ressassent d’une nation à l’au tre le même panorama, fondé sur les mêmes schémas. Une fierté nationale ou la croyance en des spécificités régionales – que les principes plus universels de la photographie viennent précisément battre en brèche – semblent animer les chercheurs en photographie. Passons sur les querelles concernant l’invention proprement dite (est-elle française ou anglaise ou même, selon une hypothèse plus récente, latino-américaine?) pour constater que, selon leur pays d’origine, les histoires «mondiales» de la photographie privilégient toujours leurs productions proches. Cela pourrait faire sourire si l’enjeu des histoires de la photographie n’était pas, précisément, dans un monde dont les limites se rétrécissent sans cesse, de permettre une analyse sérieuse des productions nationales – sensiblement de même type dans une époque donnée – en fonction de leurs interactions. Comment, par exemple, expliquer le passage, au Japon, dans les années 1930, d’un pictorialisme héritier incontestable de la tradition picturale de ce pays, à un formalisme du même type que celui qui était imposé en Allemagne par la «Nouvelle Objectivité»? Certainement pas en constituant des ensembles provinciaux qui peuvent, au mieux, servir de recueils de référence pour des histoires à venir. La méconnaissance de la photographie entraîne à des puérilités qui, tant dans le domaine de la création artistique que du nationalisme, interdisent toute recherche réelle.

On est alors agréablement surpris lorsque des travaux de qualité voient le jour. Leurs auteurs ont généralement oublié toute mégalomanie globalisante et travaillent sur des corpus précis: photographes, thèmes, fonds, périodes. Ils s’intéressent à des collections, à des attitudes limitées dans le temps, retournent à la matière première, retrouvent les protagonistes et proposent, patiemment, les éléments d’information à partir desquels il sera peut-être possible d’écrire l’histoire de cette aventure du regard qui, depuis un siècle et demi, emmagasine l’essentiel de la mémoire du monde.

Des travaux aussi différents qu’une exposition à Paris sur «Le groupe des XV dans les années 1950», la collection de Sam Wagstaff, une histoire des appareils de grand format, une histoire de la photographie de mode, les cinquante ans de Vogue , qui ne donnent souvent lieu qu’à un catalogue ou à une exposition, font davantage pour l’écriture de l’histoire de la photographie que bien des ensembles importants remplis d’erreurs. On constate à cette occasion que l’histoire de la photographie, comme celle des autres modes d’expression, n’est pas autonome. Il serait urgent de voir comment les musées français et étrangers, par la constitution – ou la non-constitution – de leurs collections, ont écrit certaines histoires de la photographie. Comment des collectionneurs privés en ont constitué d’autres, comment la presse à sa manière et les marchands à la leur, les agences par leurs regroupements de photographes ou les directeurs artistiques de mode et de publicité par leurs commandes, proposent de nouvelles histoires non formulées et antagonistes. De même, il serait plus important, au lieu de publier de trop nombreux albums sur la photographie en couleurs, d’analyser de façon précise trois événements qui ont transformé radicalement la photographie: l’apparition de la couleur, la sensibilité de plus en plus grande des émulsions, l’utilisation de photographies par la presse et par la publicité. Chacun sait que le Leica, appareil silencieux, pratique et de petit format, a permis l’émergence d’un nouveau type de reportage. L’histoire des évolutions techniques mise en relation avec celle des évolutions esthétiques attend ses historiens.

Quelques tentatives nouvelles

Depuis les années 1980, des voies nouvelles s’ouvrent pour la photographie. Elles tiennent assez peu compte de l’importance que la photographie est en train de prendre dans le domaine de l’histoire du XXe siècle, mais, à mi-chemin de l’affirmation subjective et de la confrontation, elles dessinent le tableau des histoires, multiples et contradictoires, de la photographie. Qu’un jeune historien français aille compulser l’ensemble des bulletins de la Société héliographique, du Photo-club de Paris, les publicités des débuts de l’image fixe, pour interpréter et décrire précisément l’apparition de la photographie est, par exemple, un réel progrès, même si l’on peut estimer que la rigidité légèrement dogmatique de l’analyse marxiste nuit à la dimension du propos (André Rouillé, L’Empire de la photographie ). Que les éditions Skira, malgré un choix parfois contestable des images, consacrent un album important à La Photographie, histoire d’un art est un événement. D’autant que, en mêlant des genres photographiques que le microcosme de l’image fixe a tendance à séparer, en accompagnant l’ouvrage d’un texte remarquablement informé qui pose de vraies questions et évite les habituelles considérations sur l’art, sur la photographie et son devenir, ces ouvrages font avancer les choses. Que le Centre Georges-Pompidou publie, au moment où la plupart des musées et des galeries exposant de la photographie ont enfin compris l’importance de l’accrochage, un livre consacré à un siècle et demi de regard en affirmant qu’il s’agit là d’un parcours subjectif, contre les normes historiques en vigueur dans la photographie, laisse espérer de nouvelles approches. De même, des expositions et des catalogues cherchent à savoir comment les photographes du monde entier avaient vu l’Amérique entre 1920 et 1940, ce qu’était la nature morte dans les années 1950, comment des photographes différents ont interprété un même moment ou encore comment les plasticiens utilisent la photographie. Ces tentatives thématiques, liées à des préoccupations photographiques, sont la meilleure manière d’avancer sur le terrain d’une histoire de la photographie qui se construit trop de discours et se préoccupe trop peu de méthode et de confrontation. Des travaux sur le cadrage, sur le flash, sur la couleur entre 1970 et 1980, etc., en relèvent. Ainsi, une ébauche de travail historique se dessine, qui n’aurait pas vu le jour si l’on n’avait pas commencé à s’attaquer au plus grave défaut des histoires de la photographie, leur caractère officiel; ce sont des histoires au service de la photographie, qui sont par le fait même peu crédibles.

«La belle aventure de la photographie»

Dès son apparition, «le plus merveilleux, le plus précis, le plus fidèle moyen d’enregistrer et de reproduire la réalité» a été confronté aux autres modes d’expression et à leurs défenseurs. Peintres portraitistes furieux de voir une importante partie de leur marché disparaître au profit du daguerréotype pendant que des peintres d’histoire en renom commandaient des «études de nu» à des photographes, critiques prenant fougueusement partie pour ou contre le nouveau procédé, vantant ses qualités de finesse ou stigmatisant son «asservissement» au réel: dès l’origine, toutes les conditions d’un débat contradictoire sur la photographie se trouvèrent réunies. Et encore ne savait-on pas qu’elle pourrait être utilisée dans l’espace, sous le microscope, dans un magazine, sur une affiche repeinte ou déchirée, aux cimaises d’un musée.

Toute l’histoire de la photographie se résume au même discours tenu durant des décennies par les photographes et les critiques: «La photographie est un art, au même titre que les autres, mais différent des autres.» Les auteurs étaient, tout naturellement, des hommes ou des femmes qui avaient suffisamment foi en la photographie pour passer de longues années à puiser dans les fonds d’archives, à écrire et à trouver un éditeur, voire à publier à compte d’auteur. Ainsi, pendant des années, l’histoire de la photographie a été une histoire militante, une histoire pour la photographie. Il serait aisé de relever les qualificatifs, les hyperboles, les comparaisons risibles et émouvantes de ceux qui, croyant faire œuvre d’historiens, adulaient leur objet et voulaient, enfin, le voir reconnaître. Le recul du temps – et la répétition aujourd’hui de la même attitude – nous permet de mieux comprendre cette cécité obstinée qui explique en partie l’état de l’histoire et des théories de la photographie. Voulant se faire reconnaître comme artistes mais revendiquant leur spécificité, les photographes ont sans cesse oscillé entre l’alignement et la fronde, entre le coup de cœur et la norme esthétique, entre l’exploration de leur médium et sa domestication. Ils ont été soutenus en cela par des passionnés du regard qui n’acceptaient pas le mépris et l’aveuglement dont souffrait leur art de prédilection. Mais l’histoire ne se construit pas avec de bonnes intentions et, comme nous venons de le voir, ce n’est que depuis les années 1980 qu’apparaissent les premiers linéaments crédibles de l’histoire de la photographie.

Quel avenir pour l’histoire de la photographie?

Il faut évidemment souhaiter que les monographies de qualité continuent à voir le jour. Il faut non moins évidemment soutenir les travaux de conservateurs comme de chercheurs qui nous permettent peu à peu de découvrir des trésors et des pans d’histoire enfouis. Mais il faut, aussi, interroger vraiment l’écriture de la photographie, ce qui ne se fera pas sans la présence des images. D’où la nécessité de solutions – de maquette, d’accrochage, de présentation – qui mettent en évidence l’écriture photographique en même temps que son traitement historique. Par-delà ce souci de forme, les historiens de la photographie devront se poser clairement la question de son rôle.

Une histoire se construit avec et face au temps, comme la photographie elle-même. Là réside peut-être, dans la similitude partielle de l’objet et du propos, un des pièges de l’histoire de la photographie. Mais il devient essentiel que ceux qui font profession d’historiens et qui choisissent la photographie comme champ de recherche portent un regard critique sur leur objet. Qu’ils prennent réellement ce que l’on appelait jadis un recul historique. Tant il est vrai que les pires périodes de la photographie – du point de vue esthétique – sont riches d’enseignement. Tant il est aujourd’hui évident que la mièvrerie du pictorialisme au début du XXe siècle a induit un certain type de création photographique. Tant il est nécessaire d’affirmer que le rôle de la presse et l’alignement d’une bonne partie de la photographie sur l’imprimé a déterminé des styles, des époques, encore non révolus, mais qui marquent profondément l’expression de l’image fixe. À l’heure actuelle, alors que la photographie, éminemment faible dans sa théorie et clairement sollicitée par tous les pouvoirs comme médium moderne, cherche son statut, il devient plus important que jamais que l’histoire nous apporte des informations, même si elle doit essentiellement nous renseigner sur les erreurs, les ambiguïtés, les compromissions d’un mode d’expression généralement adulé par ceux qui font profession d’en parler.

Deux voies semblent possibles. D’une part, des recherches précises sur des photographes, des ateliers, des groupes et des périodes mal ou superficiellement connus. Les photographies africaines, indiennes et sud-américaines, pour ne citer que celles qui font défaut, sont importantes et doivent être étudiées. Cette histoire conçue comme un accroissement de la connaissance, et consciente de ses limites, devrait permettre une progression des théories de la photographie. D’autant qu’elle serait en relation avec des projets plus ambitieux d’analyse historique transversale, diachronique, mettant en relation des éléments que le temps a, pour l’instant, rangés dans la litanie privée de sens des chronologies de la photographie. Ces projets, s’ils ne se montrent pas trop respectueux de leur objet, auront la plus grande importance pour le devenir de la photographie.

Au moment où des centaines de jeunes photographes se penchent sur l’histoire pour en tirer des leçons et pour construire leur propre expression, il serait néfaste de les laisser noyés sous une masse informe de documents, dans l’ignorance ou dans l’erreur. Ils penseraient bien vite, certains l’ont déjà fait, révolutionner l’expression avec des procédés du XIXe siècle. En photographie comme ailleurs, l’absence d’histoire est une source de désespoir.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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